Manifeste pour un nouveau Pacte entre les générations!
À l'heure où un vent de jeunesse démocratique souffle du sud de la Méditerranée
jusqu'en Extrême-Orient, notre quotidien offre le spectacle d'un sur-place insupportable
et la perspective d'une régression sans retour.
Orphelin des grands récits idéologiques, le débat politique reste obscurci par des
leurres, chacun agitant son épouvantail.
Il reste silencieux sur l'essentiel, toujours à bonne distance du réel.
L'élection présidentielle de 2012, qui approche à grands pas, doit être l'occasion
d'affronter le réel sous toutes ses coutures, et de remettre au centre de la discussion
publique des thèmes essentiels aujourd'hui relégués en périphérie.
Nous, acteurs au quotidien de cette civilisation digitale qui se joue des frontières, des
pouvoirs autoritaires et des hiérarchies traditionnelles, proclamons la nécessité d'une
double alternance : politique bien sûr, mais aussi culturelle et générationnelle. Nous
refusons de voir le pouvoir changer de camp sans rien changer ou presque de nos vies.
Il est temps de prendre la mesure de l'exaspération populaire, et de lui offrir une
alternative au vote protestataire, qui soulage mais ne construit rien.
La période qui s'ouvre doit être à la fois un temps suspendu, pour ranger les vieilles
rengaines, sortir du bunker partisan et se tourner vers les autres, et un temps actif, pour
ausculter les corps et les âmes, consigner les souffrances, les doléances et les
aspirations.
Prenons le temps de nous écouter.
Telle est la condition pour parvenir à un projet de société ambitieux ancré dans les
profondeurs de la société capable d'offrir des choix fédérateurs, une vision ample, un
regard d'espérance réconciliant enfin le réel et l'idéal.
Nous appelons à un nouveau pacte entre les générations qui participe de cette ambition
collective.
Nous sommes partis d'un constat : une guerre sans nom, sans chef ni armée identifiés,
mais d'une violence sociale extraordinaire, fait un nombre de victimes chaque jour
grandissant : la guerre des générations.
Cette guerre, parfaitement dissymétrique, saigne pour l'essentiel les générations
nouvelles.
Les arbitrages faits depuis trente ans par les élites politiques et économiques ont abouti
à prendre la jeunesse comme variable d'ajustement des politiques publiques. Le résultat
est sans appel : infantilisée, déclassée, appauvrie, tenue en lisière des responsabilités
politiques, la jeunesse est réduite au silence par ses aînés ou assignée à des ambitions
individuelles et mesquines.
La génération que nous avons toujours connue au pouvoir a vécu une croissance forte,
continue, la paix et une sexualité libérée. Les suivantes sont soumises à un bizutage
social permanent, entre le chômage chronique et généralisé, les pandémies sexuelles, la
destitution de l'idée de progrès par les formidables menaces qui pèsent sur l'avenir de
notre planète et la pérennité de nos modes de vie.
Nous n'oublions pas les profondes inégalités socio-économiques qui peuvent exister
au sein d'une même classe d'âge. Mais, précisément, l'aggravation des inégalités
intra-générationnelles est consubstantielle à l'aggravation des inégalités inter-
générationnelles : une génération privée de destin collectif se trouve nécessairement
livrée au chacun pour soi.
Nous n'oublions pas non plus la souffrance, l'abandon et même la misère dans lesquels
se trouvent tant de personnes âgées.
Si pour beaucoup de jeunes, demain c'est loin, pour beaucoup d'anciens, le temps des
cerises est révolu.
Il ne s'agit donc pas pour nous de lancer la chasse aux vieux - dont nous serions
d'ailleurs inévitablement et bien plus tôt que prévu les prochaines victimes. Un jeune
crétin a vite fait de devenir un vieux con.
Simplement, nous refusons la monopolisation des responsabilités par une élite
monocolore et endogame et ses conséquences collectives désastreuses.
Nous exprimons un refus, qui est aussi une exigence : nous ne voulons pas d'une
alternance molle qui se limiterait au remplacement d'une équipe dirigeante par une
autre, qui ne prendrait pas la mesure de la révolution culturelle en cours.
Le risque n'est pas dans l'audace, l'imagination et le courage politique : il est dans le
statu quo !
Si rien ne change en mai 2012, que nous promettra t-on, encore et toujours :
- au mieux l'esclavagisme économique, de stages en mission d'interim, de CDD en
contrats aidés, et une durée moyenne de cinq ans de précarité, au pire le déclassement,
avec un taux de chômage record de près de 25 % pour les 16-24 ans;
- l'infantilisation, de prêts refusés en locations inaccessibles, et autant de retard pris à
sortir de la dépendance parentale ;
- les discriminations ethniques et territoriales qui dévastent des territoires entiers :
dans les 751 zones urbaines sensibles, 43 % des actifs et 37 % des actives de moins de
25 ans sont sans emploi.
- la reproduction des élites par l'école des héritiers, qui exfiltre des ghettos quelques
élèves méritants pour mieux abandonner les autres à leur sort ;
- la tenue à l'écart d'un système politique qui semble squatté par une tribu de mâles
blancs et âgés ;
- la capitulation culturelle d'un pays réduit à l'état de vaste musée, plus attachés à
ses touristes qu'à ses créateurs, et incapable d'imprimer sa marque dans l'économie
mondialisée des produits culturels ;
- le prêt-à-penser culturel dans l'audiovisuel, par la mise à l'écart permanente des
cultures populaires et urbaines.
Nous proposons une perspective :
Faire bouger l'axe autour duquel tourne notre système, et revisiter le contrat social à
l'aune de l'enjeu générationnel, pour bâtir un projet collectif capable de mettre un terme
à l'affrontement larvé des générations et à la mise en concurrence de leurs intérêts.
À l'emprise d'une poignée de baby-boomers, nous opposons l'exigence du partage des
responsabilités de toutes les composantes de la société : les femmes évidemment, les
minorités, les handicapés, les ouvriers et employés, les entrepreneurs, les chômeurs, les
pauvres de tous âges.
A l'instrumentalisation des peurs, la participation de tous à l'écriture du récit national.
Aux faux-semblants de la performance immédiate, l'efficience sur la durée.
A la culture des privilèges et des sauf-conduits, l'exemplarité, le respect de la loi et des
principes éthiques.
A l'exploitation désinvolte de la nature et la raréfaction mondiale des ressources
disponibles, nous opposons la Nouvelle frontière écologique et la conversion résolue de
notre modèle économique.
Le pacte des générations n'est pas un programme présidentiel. Il n'a pas vocation à se
substituer aux projets des candidats.
Nous proposons simplement d'élargir notre champ de vision, d'articuler urgence et
temps long, et de réconcilier les revendications à priori contradictoires de chaque
génération.
Nous proposons l'audace dans la France d'aujourd'hui : faire le choix de la réussite pour
toutes et tous. Ce pari un peu fou, seule une double alternance, politique, mais aussi
culturelle et générationnelle, pourra nous permettre de l'emporter...
Ils n'auront pas nos voix sans nos idées!